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HDR : un pionnier s’indigne de son utilisation abusive

Décidément, la pratique du HDR a le vent en poupe. Les logiciels dédiés, les images, ouvrages et tutoriels consacrés à l’HDR sont de plus en plus nombreux. S’il s’agit avant tout d’une technique sophistiquée pour augmenter la plage dynamique des images, la photographie HDR est même en train de muer en une méthode créative pour produire des images aux rendus transcendant la réalité.

Décidément, la pratique du HDR a le vent en poupe. Les logiciels dédiés, les images, ouvrages et tutoriels consacrés à l’HDR sont de plus en plus nombreux. S’il s’agit avant tout d’une technique sophistiquée pour augmenter la plage dynamique des images, la photographie HDR est même en train de muer en une méthode créative pour produire des images aux rendus transcendant la réalité.

La récupération de l’HDR à des fins créatives ne semble pas plaire à tout le monde, à en juger du discours de certains sites Web. Alors que le créateur d’un de ces sites claironne ouvertement son aversion contre le tonemapping surfait, d’autres se livrent à une dialectique plus fine pour exprimer leur mécontentement à l‘égard de certaines œuvres jugées comme étant en rupture avec “l’esprit du HDR”.



Le site I Hate Your HDR rassemble quelques applications plus extrêmes du tonemapping. Photos : Glenn Woodford

Erik Reinhard, chercheur et professeur en informatique à l’Université de Bristol, est l’un des auteurs de l’ouvrage fondateur High Dynamic Range Imaging-Acquisition, Display and Image-Based Lighting et le créateur de plusieurs algorithmes de tonemapping. Sur son minisite, le professeur montre du doigt la tendance actuelle de (trop) miser sur les algorithmes de tonemapping pour produire des rendus hyperréalistes.

Reinhard s’attaque notamment à la communauté HDR du site Flickr qu’il accuse de produire des rendus extrêmes, envenimant ainsi les artéfacts qu’il faudrait éviter à tout prix. Selon lui, leurs méfaits seraient dus à une utilisation peu experte du logiciel HDR le plus populaire, Photomatix Pro. Une page de son minisite se consacre alors à une comparaison de différents algorithmes de tonemapping, confrontant divers paramètres prédefinis de Photomatix Pro (Fusion d’expositions, Révelateur et Compresseur) au mode par défaut de Photosphere et à ses propres algorithmes de tonemapping des années 2002 et 2005. Si les artéfacts issus de certains réglages de Photomatix Pro sautent aux yeux, Reinhard se livre à une démonstration captieuse car il confond sa propre vision esthétique avec une vérité absolue. L’art peut-on l’évaluer avec des arguments scientifiques ? Je ne le crois pas….

Rappelons que le rôle du tonemapping est de reproduire les tonalités d’un fichier HDR sur un écran ou un tirage papier. Les périphériques de sortie sont en fait encore incapables d’afficher les vastes plages de tonalités d’un fichier HDR ( high dynamic range ) et il faut recourir à différents algorithmes pour les redistribuer au sein d’un fichier LDR ( low dynamic range ). On distingue alors deux grandes familles d’algorithmes : les opérateurs globaux et locaux. Alors que les premiers procèdent à une modification de l’ensemble des pixels, les seconds prennent en compte les pixels voisins pour ainsi obtenir un contrôle beaucoup plus fin du contraste global et local. Les opérateurs globaux produisent souvent des résultats plus naturels, mais leur efficacité est inversement proportionnelle à la plage de contraste du sujet de prise de vue. Les opérateurs locaux offrent une meilleure maîtrise des contrastes extrêmes, mais ils tendent à produire différents artéfacts (halos, inversion de tons, saturation et microcontraste excessives). Mais n’oublions pas que les opérateurs locaux (Révelateur de Photomatix Pro, Adaptation locale de Photoshop, etc.) sont aussi à l’origine d’un certain “look” caractéristique à l’HDR qui se base justement sur une mise en exergue du contraste, à la fois de manière globale et locale.

Véritable puriste de l’HDR, Reinhard tente de nous interdire l’exploitation de cette technique à des fins créatives. Le HDR et le tonemapping seraient des techniques uniquement réservées à la reproduction de la « réalité » et non pas à l’expression artistique. On pourrait s’interroger sur le bien-fondé d’une telle démarche, car si la technique HDR vise à recréer la perception humaine, elle n’y parvient pas pour autant. L’oeil et le cerveau humain sont à même de percevoir des rapports de luminance équivalents à 10000:1 (c’est à dire entre 13 et 14 IL), bien davantage qu’un capteur, limité à environ 500 : 1 (9 IL). Mais l’oeil humain doit s’accommoder lentement à des rapports de luminance encore plus importants (crépuscule, contre-jour). Les reproduire dans une seule image reviendrait alors à transcender la réalité. Bref, le HDR n’est pas aussi réaliste qu’il affirme – la maîtrise de contrastes extrêmes entraîne donc immanquablement une interprétation créative.

Depuis ses débuts, le HDR “numérique” a changé de direction. Réservée au départ à quelques scientifiques et spécialistes de grands studios d’animation hollywoodiens, la technique a désormais conquis le grand public. Photomatix Pro, Photoshop et HDR Efex Pro règnent aujourd’hui sur un marché qui échappe de plus en plus à d’autres logiciels plus “techniques”, mais moins conviviaux. Il est même plus nécessaire de s’encombrer avec la prise de vue d’une séquence bracketée : la plupart des logiciels proposent désormais un mode “Pseudo-HDR” qui s’appuie sur les mêmes algorithmes de tonemapping pour produire un rendu HDR. Si ce mode n’augmente pas la plage dynamique, il procure des résultats quasi instantanés et gratifiants à des utilisateurs même peu aguerris en traitement d’image. Faut-il s’en offusquer pour autant ? Il est en fait assez délicat de juger de la valeur artistique des images “tonemappées” (rappelons qu’il ne s’agit alors plus d’images HDR à proprement parler…). Si je n’adhère pas non plus au rendu de certaines de ces images, criblées d’artéfacts et parfois même dépourvues d’intérêt, je trouve la diatribe du professeur exagérée. Agissant en vieux grincheux, dépassé par les évènements, Reinhard nous impose sa vision du HDR : abandonner la créativité aux profit d’un rendu “naturel” et dépourvu d’artéfacts. Comment qualifier alors une image comme “naturelle” ?

Je rejoins Reinhard sur un seul des points évoqués : qu’il faut apprendre à maîtriser les commandes de son logiciel HDR pour réduire, autant que faire se peut, des artéfacts disgracieux (bruit, halos, etc.). De même, il ne faut pas considérer son logiciel HDR comme terminus en matière de traitement d’image. Pour travailler les couleurs, les tonalités et la netteté, Photoshop, Lightroom et Aperture disposent d’outils beaucoup plus fins.
Rassurez-vous : il n’est pas nécessaire d’obtenir un PhD avant d’aborder le HDR. Quant à l’art de la photographie, elle est avant toute une histoire de goût. Il n’y a donc pas de laides amours. En vous souhaitant d’excellentes images HDR, sans (trop) d’artéfacts !

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6 commentaires “HDR : un pionnier s’indigne de son utilisation abusive

  1. Perso je n’aime pas non plus la tournure « créative » que prend le HDR. Cette réinterpréation de la technique tend à remplacer la technique elle même…

    Aujourd’hui quand on parle d’image HDR, la plupart du temps on fait référence à ces images à l’esthétique discutable.

    Pour autant les halos, artéfacts, l’augmentation du bruit, ne sont pour moi pas à bannir à partir du moment où cela s’inscrit dans la démarche artistique, à partir du moment où c’est « assumé ».

    On n’a pas encore vraiment vu de HDR qui exploite créativement les effets de ghosting.

    Le HDR en noir et blanc n’est pas non plus une voie massivement utilisée, alors qu’elle est très pertinente à mon avis.

    D’ailleurs, sur Flickr notamment, il y a eu une tentative de différencier HDR et HDR. La notion de TTHDR (true tone hdr, ou HDR réaliste) est alors apparue, avec des groupes dédiés, se concentrant donc sur une reproduction plus « fidèle » de la réalité à l’aide du HDR. Ceci par opposition, donc, au HDR détourné créativement , qui est finalement plus du « Tone Mapping de brutasse » ou « au bazooka » comme j’aime bien le dire.

  2. Je suis d’accord avec cet article et avec la liberté artistique et d’utilisation des outils mis à disposition mis à disposition qu’il faut préserver.

    Je suis toutefois plutôt du côté de Gabs : il y a un réel problème d’interprétatîon sémantique du terme « HDR » utilisé à tout va.
    Finalement le rendu obtenu à partir d’une seule photo avec un outil HDR pourrait certainement également s’obtenir avec Photoshop ou Gimp par exemple (mais je ne suis pas spécialiste en la matière). Dans ce cas (quelque soit l’outil employé), l’utilisation du terme HDR est clairement galvaudé, puisqu’il n’y a … jamais eu de HDR mais uniquement un LDR transformé en LDR !

    Etant donné qu’une photo n’est JAMAIS une représentation exacte de la réalité, je peux supposer que le terme HDR va disparaître à terme : finalement on réalise une photo d’architecture, de paysage, un portrait …
    Si après on passe par un traitement HDR ou non, ce qui compte au final est la photo représentée et pas les techniques ou les outils employés pour y arriver.

    Personnellement, dans un forum où je participe, je poste mes photos de paysage « TTHDR » (voir commentaire de Gabd) dans la section « Paysage » et pas dans « HDR ».
    Je suis également certain ainsi que mes photos sont jugées pour leur contenu pur, et pas par le moyen obtenu pour y arriver.

    Mais bon je digressse … Merci en tous cas pour cet article qui couvre un sujet qui n’arrête pas de faire parler de lui !

  3. Il est vrai que le HDR en tant que pratique de plus en plus courante traîne des casseroles derrière lui pour ce qui est de l’esthétique plutôt discutable de certaines photos. Un débat ne peut donc être que salutaire, car on ne parle pas assez des aspects esthétiques du HDR, d’autant plus que cette technique est souvent utilisée pour doper certaines images banales (sujet, composition, lumière, etc.). Et cela risque de faire basculer les photographes dans deux camps adversaires, pro-HDR et Anti-HDR, radicalisé pour ce qui est de leurs convictions. Malgré tout, l’HDR est potentiellement très intéressant lorsqu’il est utilisé avec modération et bon goût, tout comme d’autres techniques « créatives » (traitement croisé, traitement lith, effet fish-eye, etc.). À titre personnel, je l’aime (et je le pratique…) lorsque l’effet est aussi discret qu’il ne trahit (presque) pas ses origines.

    Pour ce qui est du traitement Pseudo HDR, je vous rejoins. En effet, on n’a nul besoin d’un logiciel spécialisé pour reproduire ce rendu, une utilisation quelque peu musclée de Photoshop suffirait amplement. Les images que l’on voit sont bien entendu plus des images HDR, aucun écran ou imprimante serait actuellement capable de reproduire la plage dynamique d’un tel fichier, issu d’une séquence d’images bracketées. Il faudrait donc plutôt parler d’images « tonemappées » (c’est pas très français) ou « tonées » (une proposition de Christian Bloch : toned images).

  4. Bonjour,
    je savais ce qu’était le HDR mais avec ton article, je découvre des aspects qui m’étaient inconnus et très techniques. Pour moi le HDR servait à « aider  » mon reflex lorsqu’il était incapable de gérer les hautes et basses lumières en même temps. Mais ton explication qui consiste à dore que même l’oeil humain est incapable simultanément de voir des très hautes et très basses lumières, je comprend maintenant que le HDR est de toute façon une déformation de la réalité.
    J’ai lu attentivement ton article et les commentaires mais je ne pense pas avoir la réponse à cette question : quelle technique alors utiliser pour ne pas avoir à choisir entre le ciel ou la terre bien exposé lors d’une situation « extrême » ?

  5. @Regis M : la photo est toujours une « déformation » de la réalité. Toutefois, lorsque la plage dynamique d’une scène est très élevée, l’oeil balaye le champ en s’adaptant graduellement aux différences de luminosité. Le HDR n’est donc pas tout à fait « réaliste » puisqu’il ne tient pas compte de l’accommodation de l’oeil humain, voulant capter toute la dynamique dans une seule image. Cela n’enlève bien évidemment rien à l’efficacité de la technique : si le taux de contraste est important, le HDR aide ainsi à saisir des informations que le capteur est incapable de rassembler dans une seule image. Mais pour faire rentrer ces informations, il provoque souvent une réduction du contraste global et une augmentation du contraste local. Ainsi, lorsque le taux de contraste est moyennement élevé, il est donc parfois plus intéressant de procéder à une fusion de plusieurs expositions dans Photoshop (ou dans Photomatix Pro qui automatise le processus…) pour un rendu plus naturel.

  6. Laissez donc aux gens le choix de leurs mauvais goûts, Niepce reconnaitra les siens et tout rentrera dans l’ordre après un peu d’agit-prop, on se croirait revenu à la période ou les blaireaux ont découvert le bouton « satruation » sur PsP!
    Longue vie à vos cailloux, votre doigté et votre oeil, peu importe le reste.

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