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La liberté de panorama appartiendra-t-elle bientôt à l’histoire ?

Si les Français, Italiens et Grecs ne la connaissent plus, la liberté de panorama pourrait bien disparaitre dans des pays européens jusque-là plus indulgents à l’égard des photographes et vidéastes. Avec des conséquences graves pour la pratique photo dans l’espace public.

Rappelons que la liberté de panorama est une exception au droit d’auteur qui permet de reproduire une œuvre protégée pour peu que celle-ci se trouve dans l’espace public. Elle est pratiquée un peu partout en Europe, avec l’exception de la France, l’Italie, l’Andorre et la Belgique où il est formellement interdit de publier ou de commercialiser une image fixe ou animée d’une œuvre d’art ou d’un bâtiment accessible au public sans avoir préalablement obtenu une autorisation des ayants droit. Une législation qui rend d’ores et déjà illégale la publication d’une image de l’Atomium, du Parlement européen, de la pyramide du Louvre ou de la tour Eiffel la nuit.

Pourquoi la liberté de panorama est-elle menacée ?

Initié par l’eurodéputée Julia Reda, le rapport sur la reforme du droit d’auteur a été adopté le 16 juin par les membres de la commission des Affaires juridiques du Parlement européen. Jusque-là tout va bien puisque la reforme en question vise à harmoniser le droit d’auteur au sein de l’Union européenne. Cependant, au lieu de généraliser la liberté de panorama dans l’ensemble des pays membres tel que proposait la version initiale du rapport, la commission prévoit de la supprimer, à l’initiative du député français, Jean-Marie Cavada. Ce dernier propose, dans l’amendement 421 de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information

« que l’utilisation commerciale de photographies, de séquences vidéos ou d’autres images d’œuvres qui se trouvent en permanence dans des lieux publics physiques doive toujours faire l’objet d’une autorisation préalable des auteurs ou de tout mandataire ».

Il va sans dire qu’une telle loi sonnerait le glas de la photographie professionnelle dans l’espace public. Imaginez un photographe souhaitant vendre une image panoramique du quartier de la Défense ou une vue de Paris saisie depuis la tour Montparnasse — il serait alors obligé de rechercher les auteurs des différents ouvrages présents sur sa photo et de les rétribuer le cas échéant avant de pouvoir vendre ses images et faire de même dans l’ensemble des  pays européens. Il s’agit là d’une situation assez loufoque et complètement dénuée de sens !

Si l’idée de faire bénéficier l’auteur d’une sculpture de la vente des photos sur lesquelles elle figure n’est pas complètement absurde, le projet de loi de la commission des Affaires juridiques du Parlement européen va bien plus loin. Selon elle, l’obtention d’une autorisation serait toujours obligatoire lorsque l’œuvre en question se situe à l’arrière-plan d’une image et/ou lorsqu’elle ne constitue pas le sujet principal. De là à interdire la commercialisation d’une photo de mode, photo de rue ou photo de reportage, il n’y a qu’un pas !

Bien évidemment, les photographes professionnels sont les premiers visés par cette proposition de loi, mais ils ne sont pas seuls. La publication d’une image sur un site de partage de photos tel que Facebook pourrait également devenir assez délicate. Et ce, pour une raison toute simple, l’autorisation implicite donnée à Facebook de commercialiser vos images. Sans avoir obtenu de l’auteur de l’ouvrage photographié ou filmé une autorisation (gratuite ou payante), la société américaine  se trouverait, en cas de plainte de l’ayant droit, dans l’illégalité. De quoi se retourner contre l’auteur de l’image, c’est-à-dire l’utilisateur de Facebook, pour récupérer ses frais d’avocat…

Heureusement, l’abandon de la liberté de panorama n’est pas encore effectif puisque la reforme du droit d’auteur ne sera votée que le 9 juillet 2015 par les députés européens. Avec un peu de chance, l’amendement du député français sera  rejeté par les électeurs provenant des pays nordiques et de l’Europe de l’Est. Ne faudrait-il pas plutôt privilégier les droits de la majorité au lieu de ceux d’une petite minorité (les architectes et artistes), d’autant plus que ces derniers sont déjà rémunérés avec l’argent des contribuables lorsque leurs œuvres sont exposées dans l’espace public  ?  En attente d’une  issue juste et heureuse pour les photographes, il y aura de quoi s’inquiéter d’une proposition de loi lourde de conséquences pour la pratique photo. Si vous souhaitez vous exprimer sur ce sujet, vous pouvez vous rendre sur cette page Wikipedia (uniquement en allemand, hélas) ou alors signer la pétition en ligne “Save the Freedom of Photography !” sur le site change.org.

6 commentaires “La liberté de panorama appartiendra-t-elle bientôt à l’histoire ?

  1. Révoltant ! Surtout de la part d’un ancien journaliste !
    Ne ferait il pas mieux se s’occuper de choses plus importantes et plus urgentes pour le bien être des personnes
    C’est là où on se rencontre du fossé entre les politiques et la nation ,je ne suis qu’un amateur photographique mais la les pros devraiit se révolter contre de telles dérives de la liberté

  2. Je crois que vous noircissez le tableau, les législations nationales primant sur la loi européenne dans ce cas précis.

  3. La « liberté de panorama » n’existe pas en tant que telle en droit français. Le code de la propriété intellectuelle (loi sur le droit d’auteur) prévoit toutefois une exception en faveur de la presse lorsqu’une oeuvre d’art graphique, plastique ou architecturale apparaît sur une image « dans un but exclusif d’information immédiate et en relation directe avec cette dernière » (article L. 122-5-9°). De son côté, la Cour de cassation (affaire place des Terreaux à Lyon) admet que le droit d’auteur ne s’applique pas à une oeuvre située dans l’espace public à la condition qu’elle apparaisse de manière accessoire sur la photo. Enfin, si interdiction il y a, elle ne concerne que les oeuvres qui ne sont pas encore tombées dans le domaine public (70 ans après la mort de l’auteur). Exemple : la tour Eiffel… mais seulement de jour, car la nuit c’est sa « mise en lumière » qui est considérée comme une oeuvre d’art encore protégée par le droit d’auteur… sauf s’il s’agit d’une vue panoramique (on y revient).
    Quant au droit européen il n’est pas en général très favorable au droit d’auteur. Ce qui peut susciter des réactions hyper protectrices. L’idéal serait de trouver un équilibre entre droits des créateurs et droits des utilisateurs.

  4. J’espère me tromper , l’avenir nous le dira mais nous avons eu de nombreux exemples d’optimisme concernant la législation européenne qui se sont révélés malheureusement catastrophiques et pourtant je suis un Europeen convaincu
    Bien cordialement

  5. « La publication d’une image sur un site de partage de photos tel que Facebook pourrait également devenir assez délicate […] »
    Pourquoi publier ses photos sur Facebook ? Première erreur !
    On parle justement du respect de la propriété intellectuelle et artistique ; FB en est un des principaux fossoyeurs.

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