Questions Photo

Exposer à droite est-il toujours à l’ordre du jour ?

La capture linéaire

La photographie numérique est différente de la photographie argentique en ce qui concerne sa réponse à la lumière. Imitant la perception de l’œil, un film photographique possède une courbe de réponse aplatie aux deux extrémités, dans les tons foncés et dans les hautes lumières. La vision humaine est de nature non linéaire (logarithmique) : si vous exposez l’œil au double de la quantité de lumière initiale, celui-ci ne perçoit pas cette quantité comme étant deux fois plus importante. L’œil intègre une compensation automatique nous préservant d’une stimulation excessive et qui nous permet une adaptation rapide aux conditions de lumière changeantes. Les capteurs numériques présentent, tout au long de leur latitude d’exposition exploitable, un mode de fonctionnement linéaire : ils recueillent et additionnent les photons sans appliquer de compensation. Cependant, les capteurs sont également confrontés aux effets de saturation, qui s’expriment souvent par des artefacts affectant les hautes lumières écrêtées. Le niveau de pixel est en effet proportionnel à l’illumination reçue ; il y a ainsi un très grand nombre d’informations dans les hautes lumières et très peu dans les tons foncés.


Distribution linéaire (gamma = 1) et logarithmique (gamma = 2,2) des valeurs de luminosité

Un appareil reflex numérique qui encode typiquement l’information couleur en 12 bits par couche (4096 niveaux), consacre en théorie la moitié des niveaux (2048) au diaphragme le plus lumineux, les diaphragmes suivants occupant respectivement 1024, 512, 256, 128, 64, 32 et 16 niveaux. Pour un appareil dont l’étendue dynamique comprend 9 diaphragmes, la zone la plus sombre ne représenterait finalement que 8 niveaux de luminosité. Si cette distribution inégale des niveaux sera compensée lors du développement du fichier brut par l’application manuelle ou automatique d’une courbe de transfert qui redistribue les niveaux dans les basses lumières, le procédé ne parvient pas à compenser une certaine fragilité dans les tons foncés qui se traduit le plus souvent par un niveau de bruit plus élevé. Etant donné la nature linéaire du capteur, il vaut mieux positionner un maximum de pixels sur le côté droit de l’histogramme (là ou il y a davantage de niveaux) pour réduire le bruit, qui est plus visible dans les parties sombres de l’image.

Photographier en mode RAW et JPEG

Il est virtuellement impossible de rendre justice à la fois au fichier JPEG et au fichier RAW. Si vous exposez à droite, vous risquez d’écrêter le peu d’informations disponibles dans les hautes lumières du fichier JPEG ; si vous exposez de manière correcte, vous n’exploitez qu’une partie de l’énorme potentiel que possède le fichier RAW – c’est un véritable casse-tête. La surexposition contrôlée souffre d’un autre inconvénient : les aperçus de vos fichiers RAW s’affichent tous avec une surexposition certaine sur l’écran LCD de votre appareil et dans votre explorateur de fichier ou logiciel de catalogage. En revanche, certains logiciels (Aperture, Camera Raw et Lightroom) permettent d’appliquer aux images, dès leur importation, un jeu de réglages spécifiques : vos images surexposées s’afficheront toujours comme si rien n’était !

La capture d’image en 14 bits – aubaine ou imposture ?

Ce papier écrit par Emil Martinec, physicien renommé et enseignant à l’université de Chicago s’attaque aux idées reçues : contrairement à ce qu’en affirment les fabricants, les derniers appareils dont les informations sont échantillonnées en 14 bits (Nikon D3, D300, Canon EOS 1D et 1Ds MK II, 40D et 450D), n’apportent que peu d’avantages réels par rapport aux capteurs traditionnels dont les informations sont échantillonnées en 12 bits. Malgré le grand nombre d’informations (16384 contre 4096 pour un capteur 12 bits), les derniers capteurs ne parviennent pas à restituer davantage de nuances, à cause du bruit, toujours aussi important. L’auteur examine dans son article, par ailleurs brillamment documenté, la relation entre la postérisation et le bruit photonique et arrive à la conclusion qu’aucun des appareils reflex numériques du marché ne mériterait l’enregistrement en 14 bits et que l’enregistrement en 12 bits serait largement suffisant pour capter toutes les informations sans perte visible. Cependant, il remarque que les Nikon D3 et D300 sont les seuls appareils qui permettent de choisir entre les deux modes et que, sur le Nikon D300, la méthode d’échantillonnage diffère suivant l’enregistrement en 12 ou 14 bits : lorsqu’on choisit la qualité supérieure, l’appareil ralentit (vitesse en rafale) et prend plus de temps pour analyser les données ce que selon lui contribuerait à augmenter la qualité. Mais là encore, il admet que le gain en qualité ne sera que rarement visible car il serait annihilé par le bruit.

Selon mes propres expériences, certes limitées, la qualité d’un capteur prime sur sa profondeur d’échantillonnage : un Mamiya ZD (dont les données en 14 bits par couche sont échantillonnées en interne en 12 bits) possède une étendue dynamique plus large qu’un Canon EOS 1Ds MK II (je n’ai pas encore pu tester la dernière génération de cet appareil professionnel…) ; et bien que mon Canon EOS 40D (capteur de taille APS, 14 bits) offre une très bonne restitution dans les hautes lumières, il n’a pas pour autant déclassé mon vénérable Canon EOS 1Ds Mk I (capteur full frame, 12 bits). Donc, du calme : pour pleinement bénéficier des niveaux supplémentaires, il faut que la qualité intrinsèque du capteur augmente, ce qui est plutôt difficile car la taille des photosites ne cesse de diminuer.

Exposer à gauche – un remède de cheval toujours d’actualité…

Aux antipodes de la méthode évoquée plus haut, mais finalement pas si éloignée, “exposer à gauche” fait en sorte que les valeurs de l’histogramme s’éloignent le plus possible du bord droit, afin d’éviter un écrêtage des hautes lumières. Certains appareils un peu anciens et/ou dotés d’un capteur de type CCD avaient un système de mesure qui tendait à sous-exposer toutes les images. Mais “exposer à gauche” n’a pas fini de hanter les appareils modernes, pourtant capables de restituer correctement les hautes lumières : Nikon (D-Lighting) et Canon (Priorité hautes lumières) emploient cette méthode dans leurs appareils actuels et la combinent à des algorithmes très performants (Nikon) ou à une simple courbe de compensation (Canon) pour éclaircir les tons moyens. Certes, cette stratégie ne s’applique qu’aux fichiers JPEG ; si vous travaillez au format RAW, seul les logiciels “maison” sauront interpréter les réglages correspondants, enregistrés parmi les métadonnées privées du fichier. Quelle que soit la méthode utilisée, “exposer à gauche” risque d’augmenter le bruit dans les parties les plus sombres de l’image. De manière générale, il vaut mieux “exposer à droite” et surveiller l’histogramme…

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24 commentaires “Exposer à droite est-il toujours à l’ordre du jour ?

  1. effectivement, mais c’est un cas à part car la profondeur de 14 bits des deux appareils est du à l’architecture particulière des capteurs (deux types d’éléments photosensibles)…

  2. L’exposition décalée vers la droite a pour seul et unique but l’augmentation de la quantité d’informations enregistrée.
    Si derrière, vous n’exploitez pas ces informations, ça n’a effectivement aucun intérêt… et les exploiter correctement n’est pas forcément à la portée de tous !
    Pour les sujets dont l’histogramme reflète un faible contraste (comme le paysage embrumé), l’exposition à droite permet d’enregistrer plus de nuances subtiles qui pourront être utilisées pour éviter la pixelisation, pixelisation qui n’aura lieu qu’en cas de forte retouche des niveaux. J’utilise cette technique dés que l’image manque de contraste, non pas parce que c’est systématiquement nécessaire, mais parce qu’en cas de besoin, j’aurais plus de matière à travailler…
    C’est pour les mêmes raisons qu’on shoote en RAW plutôt qu’en jpeg, même si ce n’est pas nécessaire tout le temps.

  3. @christophe. C’est exact, mais justement, la pixelisation dont vous parlez (je suppose qu’il s’agit là de la postérisation) n’est pas inhérent au fichier RAW (ou à sa mauvaise exposition), mais au traitement en aval (surtout lorsqu’on convertit le fichier un peu trop tôt en mode 8 bits…). Ce qu’apporte le développement à droite, est le déplacement des pixels sombres vers les tons moyens, avec pour résultat un meilleur rapport signal/bruit. Quant au paysage enbrumé, l’ayant à la base exposé à droite et « normalement » et ayant trituré les deux fichiers dans tous les sens, je ne peux constater aucune différence de qualité d’image – contrairement à beaucoup d’autres photos, plus contrastées, dont la variante exposée à droite comporte moins de bruit et une structure d’image plus propre…

  4. « Un appareil reflex numérique qui encode typiquement l’information couleur en 12 bits par couche (4096 pixels), consacre en théorie la moitié des niveaux (2048) au diaphragme le plus lumineux, »
    Que viennent faire les pixels dans cette galère ?
    Par ailleurs, le reste de ce paragraphe contient beaucoup d’autres inepties, il serait bon de relire le bon article que vous nous mettez en lien.

  5. @et oui, les pixels n’y ont rien à voir, c’est corrigé… quant au reste, je ne vois pas ou vous voulez en venir, cher Meuh, merci de préciser un peu 😉

  6. Allons bon, pour une fois que quelqu’un écrit un article sur ce genre de sujet en France, on a déjà une critique pas cool sur une demie douzaine de commentaires…

    Merci pour cet article, Volker, qui, non seulement a le mérite de soulever des questions, mais permet de réviser ses connaissances, ce qui ne fait jamais de mal à personne 🙂

  7. si, pour sauver les hautes lumières, on sous expose et qu’on veut rattraper les ombes dans le logiciel de conversion, c’est au prix d’une montée de bruit, surtout sur des images faites à haute sensibilité. Je suppose que les traitements auhjourd’hui efficaces du bruit des logiciels phare comme Nikon NX, DXO , Noise Ninja , sont plus efficaces sur le bruit natif dans le fichier raw, que dans le bruit généré au post traitemant , même si les outils de correction du bruit de ces logiciels restent utilisables à n’importe quel moment du traitement logiciel ?

  8. je suis particulièrement d’accord avec le haut de la 3ème page.Il faut toujours bien connaître le comportement de son appareil photo pour pouvoir prévoir les meilleurs réglages selon la difficulté de la lumière. Et parfois, la meilleure photo, c’est celle qu’on s’abtient de faire, surtout si on peut la remplacer par une plus intéressante encore, mais avec des conditions de lumière plus maîtrisables. On ne montre jamais que les images qu’on a prises ( le jugement d’autrui ne porte que sur celles là ), et jamais celles qu’on a jugé utile d’éviter 🙂

  9. Une autre correction 2 lignes en dessous, où tu chiffres les niveaux par diaph, tu dis « pixels » aussi 🙂

    Article très intéressant, Surtout la conclusion dans réelle réponse : Je pense en effet que ces considérations assez avancées ne doivent pas nous faire oublier de connaitre son appareil, bien exposer, et surtout bien composer. Difficile de prendre le temps de penser à tout!
    Je pense toutefois que pour les scènes très contrastées, le bruit est préférable aux hautes lumières à la limite de la sensibilité de l’appareil. Ce domaine reste relativement inesthétique en numérique. Mais cela vient peut être du visionage sur écran uniquement aussi.

    Merci encore!
    P.

  10. @BG et Potoche : je me suis rendu compte que l’Exposer à droite perturbe pas mal de photographes qui espèrent avoir trouvé une solution universelle à tous leurs problèmes d’exposition. Il n’y a pas de mystère : comme au bon « vieux temps de l’argentique », il vaut mieux de bien comprendre l’exposition (je possède par ailleurs un excellent ouvrage de Bryan Peterson) au lieu de faire confiance aux automatismes de l’appareil, car ce sont finalement les conditions de lumière particulières, souvent mal interprétées par la cellule de l’appareil, qui donnent les meilleurs résultats

  11. Tiens, juste histoire d’embrouiller encore un peu plus les choses : mon cher Volker, que penser, par rapport à ce problème de choix d’exposition, de la nouvelle fonction présente dans le D3 et D300 nommée D-Ligthing Actif ?? En (très) gros, cette fonction est censée adapter l’exposition à la dynamique du capteur en analysant l’image au moment de l’enregistrement (et moyennant un temps de traitement plus conséquent bien sûr…). C’est aussi une piste intéressante…

  12. oui, très bonne remarque, Laurent. Malheureusement, il n’y a que toi qui pourras vérifier le fonctionnement du D-Lighting, moi je suis Canoniste :-). Mais à priori, cela semble reposer sur des algorithmes bien plus puissants que la courbe utilisée par Canon pour remonter les tons moyens lorsqu’on choisit le mode « Priorité hautes lumières ».

  13. Ce qui va être intéressant dans l’avenir, c’est de voir ce que des éditeurs de logiciels genre Lr/ACR, Aperture, Phase One, Bibble, DxO vont nous proposer pour concurrencer l’arrivée d’outils de correction extrêmement sophistiqués embarqués dans les boîtiers et agissant dès la prise de vues.

  14. @Gilles & Volker : là est bien la question. Comment rattraper a posteriori une exposition mal dosée ? C’est bien pour cela que l’option de l’analyse en amont de l’exposition proprement dite semble être la solution absolue, et pour aller bien au delà des systèmes de mesure actuels que sont les mesures matricielle, pondérée centrale et spot. Le D-Lighting Actif récemment proposé par Nikon a l’avantage d’être débrayable au moment du développement du RAW sous Nikon Capture, comme tout réglage affecté à un brut de capteur. Toutefois, son activation à la prise de vue influe bien sur la nature du RAW enregistré, même si on désactive au post traitement. Et à ce titre, il n’est donc pas exempt de générer des artefacts dans certaines conditions extrêmes. Du coup, j’hésite à l’utiliser systématiquement, préférant contrôler mon expo moi-même. De toute façon, pour de l’assemblage d’images ou la reproduction de documents, il ne faut pas employer cette fonction sous peine de devoir ré-équilibrer les vues obtenues qui auront été interprétées individuellement à la prise de vue, même en cas d’exposition manuelle.
    Bref, l’expérience acquise est aussi un excellent palliatif aux éditeurs de logiciels…

  15. Commentaire qui n’apporte rien au moulin: excellent article, merci beaucoup ! Un véritable plaiisir QuestionPhoto.com.

  16. Pour moi, c’est très simple, je travaille 100 % en RAW et je n’ai pas envie de passer ma vie à retoucher mes images. J’essaye donc de soigner ma prise de vue.
    Le problème, une fois installé devant l’ordi, on ne peut s’empêcher de toucher aux merveilleux outils disponibles dans les logiciels…

  17. L’active D-Lighting de Nikon amène le plus souvent un décalage vers la gauche de l’exposition, et du coup lorsqu’on l’utilise sur des fichiers Raw, les fichiers sont plus délicats à développer avec les logiciels autres que les outils Nikon…

    Pour ma part, j’ai renoncé à l’utiliser, préférant garder la main et utiliser une mesure spot lorsque nécessaire…

  18. il suffit de prendre un carre de ciel uniformément bleu et de faire différentes expositions , -2 , -1 , 0 , +1, +2, et même +3 pour se rendre compte tout seul du gain en qualite de l’exposition a droite. un ciel bleu expose normalement (0) a du bruit , un ciel a +2 et bien sur remis a son bleu, dans camera Raw par exemple, donne un beau bleu exempt de bruit
    Il ne s’agit donc pas de bruit dans les zones d’ombre uniquement
    La ou il faut se méfier c’est dans le cas par exemple de fines branches dans le ciel si l’exposition est trop a droite
    mais prendre 2 ou 3 expo regle ce problème

    la première chose est de bien connaitre son appareil

    sinon oui l’expo a droite est la seule solution actuelle en numérique

    je parle bien sur en RAW et a 100 ISO, le reste etant du bricolage logiciel 400 ISO n’augmente pas la sensibilite du capteur , celle ci est fixe

  19. Pingback: Bruit chrominance et luminance

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