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Gestion des couleurs avec Lightroom

L’espace de travail interne de Lightroom

ACR, le module de développement de fichiers RAW de Photoshop, et Lightroom, qui utilise le même moteur de développement, ont apporté une contribution majeure à la gestion des couleurs en consacrant la prééminence de l’espace ProPhoto RGB, un espace colorimétrique dont nous avons indiqué l’importance en photo numérique puisqu’il est le seul à englober les gamuts des APN modernes (voir au chapitre 3, « ProPhoto RGB, ROMM RGB et ‘Melissa RGB’ »).

Ce sont les primaires de cet espace standard et une profondeur de couleur de 16 bits qui ont été adoptées par Adobe pour construire l’espace de travail interne de Camera Raw et surtout de Lightroom. L’espace de calcul caché au coeur de ces logiciels n’est donc plus CIELAB, comme dans Photoshop, mais une variante linéaire de l’espace ProPhoto RGB, un espace colorimétrique dont les primaires sont celles de ProPhoto RGB mais dont le gamma est égal à 1 au lieu du traditionnel 1,8. Nous verrons en effet au chapitre 9 que les données enregistrées par un capteur d’APN sont toujours affectées d’un gamma de 1.

L’adoption d’une grande profondeur de couleur et du gamma linéaire natif des capteurs d’appareils photo numériques pour mener tous les calculs de correction d’images permet de préserver la profondeur des couleurs enregistrées par le capteur, et de minimiser les risques de numérisation induits par les conversions intermédiaires.

Lightroom a été conçu pour traiter les fichiers images (TIFF, JPEG) qui incorporent un espace colorimétrique. Aucune fonction ne lui permet en effet d’attribuer un profil à une image qui en est dépourvue – Lightroom appliquant d’office sRGB pour afficher les images qui n’incorporent pas de profil.
Ce logiciel exige donc d’être exploité dans un environnement capable de gérer les couleurs.

« Melissa RGB », espace de l’interface utilisateur de Lightroom

Les histogrammes et autres données colorimétriques affichés par l’interface de Lightroom sont exclusivement mesurés en référence aux primaires de ProPhoto RGB, mais associés à la fonction de transfert de sRGB, soit un gamma d’à peu près 2,2 au lieu de 1,8. Cette valeur de gamma est mieux conforme à la tradition des PC (voir au chapitre 3, « Gamma global d’une chaîne photographique ») et l’équipe de développement d’Adobe la justifie par la recherche d’une meilleure uniformité perceptuelle. Selon Mark Hamburg, responsable du développement de Lightroom, un gris de 50 % apparaît ainsi plus proche du « centre des gris ».

Pour marquer le caractère hybride de cet espace, ce dernier a perfidement proposé de l’appeler « Bastardized RGB » (!) L’incontournable expert de Photoshop, Martin Evening, a lancé quant à lui le nom de « Lightroom RGB » tandis que d’autres tentaient « Love Child RGB » et que Melissa Gaul, membre éminent de l’équipe de développement dirigée par Mark Hamburg, trouverait bien qu’on l’appelât plutôt « Melissa RGB »… ce qui romprait agréablement avec les désignations d’espaces colorimétriques jusqu’à présent toujours masculines, Bruce RGB, Don RGB…

Peut-être vous demandez-vous pourquoi les concepteurs de Lightroom ont adopté la courbe de réponse composite de sRGB, qui est assez difficile à exploiter numériquement, alors qu’un simple gamma de 2,2 aurait aussi bien situé un gris de 50 % au « centre des gris ». Il faut, pour répondre à cette question, examiner à nouveau l’agrandissement de cette courbe de réponse et la comparer avec sa concurrente dotée d’un gamma de 1/2,2 (voir aussi au chapitre 3, « sRGB, l’espace des écrans cathodiques et d’Internet »). Pour les faibles niveaux, la courbe gamma 1/2,2 est située au dessus de la courbe sRGB et est, bien sûr, comme toute courbe à gamma constant, tangente à l’axe des ordonnées (niveaux de sortie) pour une abscisse nulle (niveau d’entrée).

Aux environs du point de tangence, il règne une véritable ambiguïté sur les niveaux de sortie donnés par la courbe gamma 1/2,2. Dans cette zone des valeurs très sombres, il est difficile d’obtenir numériquement deux niveaux de sortie sensiblement différents (deux ordonnées différentes) pour deux niveaux d’entrée distincts dans l’espace linéaire de capture, soit deux abscisses différentes sur notre courbe. En appliquant la courbe sRGB (partie courbe et partie droite) qui n’est pas tangente à l’axe vertical mais en est un peu plus écartée, on évite cet écueil.

Courbe de réponse sRGB et gamma 1/2,2. La courbe gamma 1/2,2 est difficile à utiliser près de l’origine car elle est tangente à l’axe des ordonnées.

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6 commentaires “Gestion des couleurs avec Lightroom

  1. Voici un article très intéressant car il « éclaire » un domaine de la photo numérique crucial et pourtant difficile à maîtriser : la gestion des couleurs ! D’ailleurs, à la lecture de cet article, je me pose de nouvelles questions .

    Si je capture une image en RAW, lorsque Lightroom ouvre cette image elle est automatiquement convertie dans l’espace colorimétrique Melissa RGB. Pour autant mon moniteur ne peut gérer que l’espace colorimétrique sRGB. D’où les questions suivantes :

    1. Les fichiers RAW possède t-il un espace colorimétrique intrinsèque ? Si ce n’est pas le cas, comment Lightroom gère t-il la conversion vers l’espace colorimétrique Melissa RGB ?
    2. Mon écrant étant « limité » au sRGB et Lightroom travaillant dans l’espace Melissa RGB, la photo affichée par Lightroom est-elle correcte ? Si oui comment est-ce possible ?

    Merci pour vos réponses.

  2. Merci pour ces intéressantes questions.
    Juste un détail tout d’abord, ce n’est pas tout à fait dans Melissa RGB que se situe votre image lors de son optimisation par Lightroom, mais dans un espace qui n’a pas (encore) de nom et qui possède les mêmes primaires que Melissa RGB (celles donc de ProPhoto) mais avec un gamma d’encodage égal à 1 au lieu d’environ 2.2 pour Melissa RGB et 1,8 pour ProPhoto RGB.

    Les trois composantes RGB qui résultent du dématriçage des données capturées par un APN et qui constituent un fichier RAW ne font référence à AUCUN espace colorimétrique standard. Elles dépendent uniquement du comportement colorimétrique de l’APN (et de l’algorithme de dématriçage) et ne prennent leur sens que quand on calibre l’APN. On peut dire aussi que ces composantes RGB sont définies dans l’espace de l’appareil, le calibrage ayant précisément pour objectif de définir cet espace.

    Vous verrez, en lisant le chapitre que je consacre au calibrage d’APN dans la seconde édition de mon bouquin qui doit paraitre dans les prochaines semaines, que, pour « calibrer » un APN, c’est à dire établir la relation entre les composantes RGB brutes d’un fichier RAW et les couleurs correspondantes dans l’espace absolu CIELAB, les logiciels de développement utilisent des politiques diverses. Les logiciels Adobe et les logiciels fournis par les constructeurs d’APN réflex petit format utilisent (hélas !) un étalonnage « propriétaire ». En revanche, Capture One, feu-RawShooter et les logiciels qui accompagnent les dos numériques grand format appliquent la technologie ICC et se basent donc sur des profils ICC d’appareils pour définir le comportement colorimétrique d’un APN.

    Les gamuts qui résultent de ces calibrages d’APN sont bien plus vastes que ceux des espaces sRGB ou Adobe RGB. L’examen des images sur un écran (dans l’espace d’affichage, proche de sRGB) ou leur impression (dans l’espace de l’imprimante) mettent donc en oeuvre donc des conversions qui font disparaitre certaines nuances. Il est pourtant important de conserver toutes les couleurs d’origine dans le fichier RAW car vous ne savez pas aujourd’hui, l’usage que vous en ferez un jour… Et puis, optimiser une image en partant d’une grande profondeur de couleur dans un espace à large gamut est la meilleurs façon d’éviter l’apparition d’artefacts lors des optimisations dans Lightroom ou Photoshop : erreurs d’arrondi qui vont par exemple altérer la continuité d’un dégradé.

  3. Merci pour ces réponses précises !

    Une question me taraude toujours : est-ce que Lightroom convertit les photos qu’il traite dans l’espace « LightroomRGB » vers l’espace de l’écran (définit par le profil de l’écran) lorsqu’il les l’affiche à l’écran ?

    Cela expliquerait que deux photos JPEG prises dans les mêmes conditions, une sRGB et l’autre AdobeRGB, s’affichent de manière identique dans Lightroom.
    D’ailleurs elles s’affichent également de manière identique dans la visionneuse de Windows XP (mais j’imagine que le moteur de conversion n’est pas le même).
    Seul IrfanView les affichent différemment : la photo AdobeRGB est « délavée ». J’imagine que ce logiciel ne tient pas compte du profil de l’écran et ne convertit pas les photos à l’affichage.

  4. Les applications gérant correctement les couleurs (Photoshop, LR, visionneuses…) affichent les images sur un écran en tenant compte de l’espace colorimétrique qui est incorporé dans l’image et du profil d’affichage par défaut qui est déclaré dans le système d’exploitation.

    Un moteur de conversion se charge d’opérer la conversion : celui de Microsoft ou celui d’Adobe, selon le logiciel employé. Les différences entre moteurs de conversion sont négligeables car c’est un mode de rendu colorimétrique qui est en général appliqué, un mode qui est défini par l’ICC sans laisser de marge de manoeuvre aux développeurs de logiciels…

    Deux photographies définies dans sRGB et Adobe RGB mais provenant d’une même image (la version sRGB résultant par exemple d’une conversion de la version Adobe RGB) ou deux images sRGB et Adobe RGB prises exactement dans les mêmes conditions, auront donc la même apparence à l’écran.

    Attention tout de même, le raisonnement ci-dessus ne s’applique rigoureusement qu’à condition que la colorimétrie de l’image soit entièrement incluse dans le gamut le plus petit, c’est à dire celui de sRGB. Si ce n’est pas le cas, la version sRGB de l’image fera l’objet d’un écrêtage (disparition des nuances hors gamut lors de la conversion) qui pourrait modifier un peu son affichage sur un écran arts graphiques bénéficiant d’un gamut supérieur à sRGB…

  5. Bonjour Monsieur Delmas et bonjour à vous tous.

    Je viens d’acheter votre livre. Il me tarde de m’y plonger. Ce sujet m’intérresse

    Pour Arno: Un RAW n’a pas de profil couleur incorporé comme le jpeg. Dans lightroom, les composantes RVB sont traduites dans le profil du module étalonnage qui simule les styles d’image. A partir de là les couleurs sont définient.
    Il y a une converssion vers l’espace de travail: pseudo ProPhoto afin de recalculer les valeurs RVB de chaque pixel, tout en conservant la couleur de référence.
    A l’export, l’utilisateur peut choisir l’espace de sortie. Il y aura converssion de l’espace de travail très large vers l’espace de sortie plus petit.

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